Regard sur une exception
S’il est une exception bien identifiée, c’est celle de notre culture.
‘‘L’exception culturelle française‘‘ parfois raillée, fait reconnaître la dimension singulière, complexe et nuancée de l’identité française, qui s’exprime pleinement dans son attachement fort au patrimoine et aux valeurs qui lui sont liées.
A l’instar d’autres grandes cathédrales françaises, Notre-Dame de Paris constitue un « chef d’œuvre du génie créateur humain » comme le définissent les critères de la Liste du patrimoine mondial. Mais plus encore qu’aucune autre, elle constitue l’un des socles de l’identité française, magnifié par les écrits de Victor Hugo ou Huysmans et transcendant le profane et le sacré : elle est le symbole séculaire de l’unité d’une nation par lequel le monde reconnaît une exception française.
A travers l’œuvre originale et remarquable effectuée par Viollet-le-Duc sur la cathédrale, Notre-Dame est devenue le réceptacle des réflexions et expériences qui ont fondé notre aptitude à penser le patrimoine, et notre compétence à le restaurer, l’entretenir, et le mettre en valeur. Elle a cristallisé les valeurs fondamentales et
universelles du patrimoine comme expression de l’identité française. Restaurer la cathédrale Notre-Dame de Paris appelle, une nouvelle fois encore, à l’exemplarité.
Dans l’absolu, nous ne pouvons que souscrire à la volonté forte exprimée par le Président de la République au soir du 15 avril 2019, d’engager tous les moyens pour restituer rapidement sa force de représentation à l’édifice.Le défi est grand, et chacun a à cœur de démontrer sa capacité à répondre à l’appel de cet enjeu exceptionnel.
Pour autant, faut-il instituer une ‘‘loi d’exception‘‘, alors même que les lois françaises en la matière ont la vertu de leur grande maturité ? Ne répondent-elles pas avec intelligence, à l’importance et la complexité des sujets qui se conjuguent autour du patrimoine en matière d’environnement, d’urbanisme, de commande publique, de fiscalité ?
Retenons pour en attester, le fait que dès le lendemain de l’incendie, il a été possible d’engager, dans la plus grande urgence, de très importants travaux de mise en sécurité dans le plus strict respect des lois. Admirons avec quelle célérité l’ensemble des autorités (conservateurs, DRAC, ABF), des experts (ACMH, ingénieurs, restaurateurs, historiens) et des compétences (40 entreprises spécialisées du patrimoine, compagnons) ont su se mobiliser pour agir.
Avec une ‘Loi d’exception,’ quel signal allons-nous envoyer aux propriétaires du patrimoine national et au reste du monde ? Celui d’une volonté d’agir ou celui d’une incapacité à faire avec notre législation, pourtant si souvent enviée ?
Notre loi actuelle dispose de tous les moyens permettant d’agir avec raison, qualité et sens, tout en réservant une place légitime aux débats d’experts.
Elle est un terreau riche offrant de grandes capacités d’action.
Elle appelle à la plus grande compétence.
Elle est la traduction dense et subtile de la construction de notre citoyenneté et de l’attention à la préservation de nos équilibres de société.
Certes, ses applications quotidiennes sont parfois complexes et sources de lenteurs, et en ce sens nous comprenons le souhait de vouloir en optimiser les applications. Mais ne peut-on, de façon interne au Ministère de la Culture, déclarer prioritaires les dossiers estampillés ‘‘Notre Dame’’ et résoudre ces questions sans révolutionner la Loi ?
En tout état de cause, l’Association des Architectes du Patrimoine met à la disposition du Gouvernement la grande expérience et la culture de ses membres pour évaluer la nature des ordonnances à envisager dans le but de rendre plus efficace l’organisation des procédures.
Nous admettons que la sécurisation, puis la restauration de Notre-Dame de Paris soit le laboratoire d’une amélioration de notre capacité à faire les choses avec grandeur.
Nous soutenons l’idée que l’Etat recherche une organisation efficiente de ses compétences, sous condition de transparence, d’objectivité, et à l’abri des pressions des lobbies. Nous regardons avec bienveillance l’exceptionnel élan de générosité des mécènes français et étrangers, et souhaitons que cet engagement puisse soutenir durablement l’ensemble du patrimoine français.
Mais nous refusons l’idée d’une loi rédigée en urgence qui ne semble pas savoir exprimer avec clarté la substance de son exception, et qui risque de constituer une jurisprudence préjudiciable et régressive envers une législation si patiemment élaborée.
La restauration de Notre-Dame de Paris doit être, selon nos vœux, l’affirmation de notre exceptionnelle expertise nationale s’exprimant par la mobilisation des compétences les plus spécialisées.